A l'Est, quoi de nouveau ?

Nouvelles d'Europe Centrale et Orientale.

Par Robin Durand

Il y a exactement 30 ans, en août 1989, des manifestations de masse étaient organisées dans les républiques baltes d’URSS, exigeant l’indépendance après une annexion à la suite de la Seconde Guerre mondiale vécue comme un véritable traumatisme. Ces manifestations devaient mener quelques mois plus tard à la chute de l’URSS, phénomène complexe dont les causes sont multiples mais dont les Baltes aiment rappeler avec fierté que c’est chez eux qu’il a débuté. Aujourd’hui, les trois Etats baltes – Lituanie, Lettonie et Estonie – cultivent leur indépendance, leurs particularités nationales et leur attachement à l’Europe. Les trois Etats sont devenus membres de l’OTAN et de l’Union Européen en 2004. Ils ont tous les trois adopté l’euro comme monnaie nationale et initié d’importantes réformes de leurs économies pour se rapprocher des standards européens. Ce degré d’intégration – cas unique dans l’espace post-soviétique – est remarquable mais ne doit pas masquer les difficultés que ces pays rencontrent. Après avoir connu une très forte croissance de leurs économies au début des années 2000 qui leur a valu le surnom de « Tigres Baltes » par analogie avec l’Asie du Sud-Est, la crise de 2008 a fait apparaître d’importantes fragilités que les trois pays tentent aujourd’hui de combler avec plus ou moins de succès. La Lettonie constitue à cet égard un exemple intéressant. La reprise y est nette depuis 2010 avec un taux de croissance à la hausse et un chômage à la baisse mais les disparités entre un centre urbain connecté au reste de l’Europe et le reste du pays, rural et en reconversion industrielle, constituent un frein à son développement. La question nationale y est prégnante avec une forte minorité russophone privée de la citoyenneté lettone et les relations avec le voisin russe restent compliquées. Enfin, les secteurs industriel et portuaire représentent encore une part importante de l’économie au détriment de secteurs plus novateurs. On comprend ainsi mieux pourquoi les investissements étrangers restent timides dans ce pays. La Lettonie présente pourtant un intérêt économique indéniable en plus d’une croissance encourageante. Alors qui s’intéresse à la Lettonie ? Et surtout qui devrait s’y intéresser ? C’est ce que nous vous proposons de voir ici avec un rapide tour d’horizon de l’économie lettone : ses difficultés, ses succès, ses atouts et ses opportunités.

La Lettonie est située au bord de la Mer Baltique, entre la Russie et ses deux voisins baltes que sont l’Estonie au Nord et la Lituanie au Sud. Le pays, grand comme deux fois la Belgique, est relativement peu peuplé : environs 2 millions d’habitants dont la moitié vit dans la région urbaine de Riga, la capitale1.

La Lettonie connectée, réseaux de communication et centres urbains

Carte réalisée par l'auteur

Le pays s’ouvre à l’Ouest sur le Golfe de Riga et la Mer Baltique qui constituent une façade maritime importante. A l’Est, on trouve une grande plaine qui donne accès à l’Estonie, la Russie, le Belarus et la Lituanie. Cette situation géographique est particulièrement attrayante. En effet, la Lettonie se trouve à mi-chemin entre l’espace balte et scandinave d’une part et russe et eurasiatique d’autre part. Le pays dispose de trois ports commerciaux2, Riga, Ventspils et Liepāja, et est relié aux pays voisins par un solide réseau routiers et ferroviaire. La Lettonie est traversée d’Est en Ouest par le fleuve Daugava qui constitue le principal axe de communication fluvial et terrestre du pays. On le voit, la Lettonie est un lieu de transition entre un espace maritime qui donne accès à toute l’Europe du Nord et les voies de communication continentale de l’Europe centrale et orientale. On comprend ainsi mieux l’importance que cet espace a pu avoir au cours des derniers siècles et les convoitises qu’il suscite encore aujourd’hui.

La région est peuplée au VIIIe siècle par des peuples finno-ougrien3 au Nord et balte4 au Sud. Ces deux peuples parlent des langues différentes mais finissent par partager un certain nombre de traits culturels du fait de nombreuses interactions et forment un espace balte s’étirant du Golfe de Finlande aux limites des plaines d’Europe centrale. Les quatre principaux peuples qui occupent le territoire actuel de la Lettonie sont les Coures à l’Ouest, les Lives au Nord, les Sémigales au Sud et les Lettes à l’Est. Le pays tire d’ailleurs son nom de ces derniers et les provinces actuelles de la Lettonie reprennent ce découpage territoriales : Courlande à l’Ouest, Livonie au Nord, Sémigalie au Sud et Letgale à l’Est. La ville de Riga, capitale actuelle du pays et principal centre urbain, est fondée au XIIe siècle par des chevaliers germains venus évangéliser les populations locales. Située à l’embouchure du fleuve Daugava et donnant sur le golfe éponyme, sa situation est idéale pour développer le commerce entre les Etats slaves à l’Est et germains à l’Ouest. La ville rejoint d’ailleurs au Moyen-Age la ligue hanséatique, association de villes marchandes dont l’objectif est d’organiser le commerce maritime en mer Baltique5.

Espace de la ligue hanséatique au XVe siècle

Wikimedia commons, [CC BY-SA 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)]

A partir du XVIIe siècle, Riga est intégrée à l’Empire russe puis le reste de la Lettonie au siècle suivant. Riga devient la troisième ville industrielle de Russie et poursuit un important développement économique. Sous l’influence de la bourgeoisie locale d’origine germanique, un nationalisme letton se développe au XIXe siècle en réaction à la présence russe. Suite à la défaite russe lors de la Première Guerre mondiale, la Lettonie, comme d’autres régions de l’Empire russe, accède à l’indépendance mais à la différence d’autres territoires, elle n’est pas reconquise par les Bolcheviks au début des années 1920 et bénéficie de vingt années d’indépendance qui marquent fortement la région. Le pays ainsi que les deux autres républiques baltes sont finalement annexés par l’URSS en 1940 dans le cadre du pacte germano-soviétique. Cette annexion n’a jamais vraiment été acceptée par les populations locales qui la considèrent comme illégale et gardent le souvenir de l’indépendance ainsi qu’un sentiment national fort. Après l’attaque allemande de l’Union Soviétique en juin 1941, les républiques baltes sont brièvement intégrées au IIIe Reich et une part importante de la population rejoint, volontairement ou non, les rangs de l’armée allemande et des partisans communistes, source de division entre les Lettons encore aujourd’hui. Les années d’occupation soviétique, finalement, sont marquées par des répressions envers les intellectuels lettons, soupçonnés de nationalisme, et l’envoi de colons russes dans la république6. Lorsque le pays accède à nouveau à l’indépendance en septembre 1991, la priorité est de construire un Etat moderne, capable de renouer avec l’activité économique et commerciale qu’a connu le pays au début du siècle, et de prendre ses distances avec la Russie voisine.

Treize ans seulement après son indépendance, la Lettonie rejoint l’Union Européenne, en même temps que ses voisins baltes. L’événement est perçu comme historique pour ce petit pays balancé entre plusieurs empires depuis des siècles. Le pays retrouve la possibilité de décider librement de son destin après un demi-siècle d’occupation. La même année, la Lettonie rejoint l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et tourne définitivement le dos à la Russie. A Moscou, on voit ce rapprochement d’un très mauvais œil et on fixe pour objectif de ne plus laisser aucune ancienne république soviétique intégrer ces deux organisations. Cette position est centrale pour expliquer le comportement de la Russie vis-à-vis des événements de 2004 en Ukraine et de 2008 en Géorgie. Le ton est ferme également vis-à-vis de la Moldavie pour la même raison. Cette situation confère aux pays baltes un statut d’exception qui constitue une source de tension avec la Russie sur fond d’accusation de discrimination envers la minorité russe du pays. Mais la voie de l’intégration européenne fait consensus parmi les Lettons et le pays poursuit dans la voie de l’intégration européenne avec son accession à l’espace Schengen en 2007 puis à la zone Euro en 2014. Le pays fait donc le pari d’une intégration poussée à l’espace commun européen et fait valoir pour cela ses atouts géographiques, à l’origine de toutes les convoitises, et économiques.

La Lettonie participe à quatre niveaux d'intégration européenne

Wikimedia commons, [CC BY-SA 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)]

L’économie lettone est fortement marquée par l’héritage communiste. L’appartenance de la Lettonie à l’Union Soviétique pendant près d’un demi-siècle a ainsi déterminé des structures économique, notamment de production, toujours présentes aujourd’hui. Dès son intégration en 1940, les autorités soviétiques décident la collectivisation de l’agriculture et la planification de l’économie. Le pays prend un tournant industriel très marqué avec la création d’entreprises automobiles, sidérurgiques et alimentaires issues de la fusion de structures préexistantes. Par ailleurs, la production est reliée au reste de l’économie soviétique. Ainsi, l’essentiel de l’industrie lettone repose sur l’utilisation de matières premières provenant d’autres républiques d’URSS, principalement de Russie et la production est en grande majorité exportée vers le reste de l’URSS. La Lettonie devient donc entièrement dépendante à la fois pour ses approvisionnements en matières premières et pour ses débouchés. La planification d’État, de rigueur en URSS, contribue également à rendre l’économie lettone encore plus dépendante en déplaçant les centres de décision économique de Riga vers Moscou. Les industries historiques de la Lettonie, principalement le bois, l’agriculture et la pêche, sont moins concernées car celles-ci utilisent des ressources locales. Le secteur des services, comme dans l’ensemble du pays, reste peu développé. A l’échelle de l’URSS, la Lettonie, tout comme ses voisins baltes, est perçue comme un îlot de prospérité épargné par la violence des réformes économiques des années 1930. La république constitue d’ailleurs une destination touristique prisée, notamment pour son littoral préservé et son architecture germanique.

Après l’indépendance, le pays entame une transition vers l’économie de marché. La transition est difficile, à l’instar d’autres pays anciennement communistes, mais la Lettonie, comme nous l’avons dit, garde une production basée sur des ressources locales, pour laquelle elle trouve rapidement de nouveaux débouchés en Europe, même si la Russie reste son second partenaire économique. Cette situation lui permet d’afficher un taux de croissance d’environ 10 % tous les ans jusqu’en 2006-2007 qui lui valent, ainsi qu’à ses deux voisins, le titre de « Tigres Baltes ». La crise économique de 2008 met un coup d’arrêt à cette dynamique et voit notamment la faillite de la seconde banque du pays Parex bank. Grâce, notamment, à l’intervention du FMI, la reprise est rapide et le pays renoue avec la croissance dès 2011. En 2014, la Lettonie satisfait les critères du pacte de stabilité et intègre zone Euro. Aujourd’hui, l’essentiel des anciennes entreprises d’État ont été privatisées à l’exception du fournisseur d’énergie Latvenergo et de l’opérateur Lattelecom. Le stock d’investissements directs étrangers s’élève à environ 19 milliards de dollars en 2017, un niveau élevé pour un ancien pays communiste mais nettement inférieur au niveau des pays d’Europe du Nord.

Source FMI www.imf.org

En plus des secteurs traditionnels de l’économie lettone dont nous avons déjà parlé, le pays développe un secteur des services qui représente aujourd’hui près de 75 % de son PIB. Le gouvernement letton soutient la création d’entreprises et l’installation d’entreprises étrangères par une politique fiscale très attractive. La Lettone présente ainsi un des plus faibles taux d’imposition sur les sociétés de l’Union Européenne : 15%7. Cette politique bénéficie au secteur financier représenté notamment par quatre grandes banques commerciales qui attirent des capitaux étrangers, notamment scandinaves, et affichent une croissance stable malgré la faillite en 2018 de la banque ABLV. Le secteur des services informatiques connaît également un important développement soutenu par un vivier de spécialistes bien formés. Enfin, les entreprises du secteur du commerce de bien peuvent bénéficier d’un bon réseau de communication et des trois ports commerciaux que compte le pays.

On le voit la Lettonie est un pays en mutation et résolument tourné vers l’avenir. Le poids du passé, toujours important, n’empêche pas ce petit pays balte de s’imposer en tirant partie tant de ses ressources naturelles, industrielles et humaines que de sa position géographique exceptionelle. Les perspectives de croissance sont optimistes malgré la crise de 2020 et le pays devrait poursuivre dans cette voie dans les années qui viennent. Par ailleurs, la Lettonie assume de plus en plus sa minorité russe et tente de se placer en intermédiaire entre l’UE et la Russie et de dépasser les antagonismes grandissant entre les deux blocs. Il est ainsi fort à parier que le pays restera une destination intéressante pour les investissements et un acteur modeste mais incontournable sur la scène européenne.

Août 2020

1.Collectif, Rīgas aglomerācijas robežu precizēšana, Latvijas Universitāte, Rīga, 2017, p. 19 [http://www.sus.lv/sites/default/files/rigas_aglomeracija_2017.pdf]

2.Le pays compte également d’autres ports de moindre importance.

3.Originaires de l’Oural, ces derniers sont les ancêtres des Estoniens, peuple majoritaire de l’Estonie, au Nord de la Lettonie. On retrouve également leurs descendants en Hongrie, Finlande ainsi que dans plusieurs régions russes de l’Oural.

4.Les peuples baltes sont étroitement liés au Slaves comme l’attestent les données linguistiques.

5.Jean-Christophe Victor, « Lettonie, entre Bruxelles et Moscou », Le dessous des Cartes, émission du 29 novembre 2014.

6.Environ un demi-million de colons russes se sont installés en Lettonie entre 1945 et 1955.

7.Dans l’UE, seules l’Irlande (12,5%), Chypre (12,5%) et la Bulgarie (10%) ont un taux inférieur à celui de la Lettonie. A titre de comparaison, les sociétés sont imposées à 33% en France et 30,2% en Allemagne.