A l'Est, quoi de nouveau ?

Nouvelles d'Europe Centrale et Orientale.

Par Robin Durand

L’Ukraine telle que nous la connaissons aujourd’hui est une construction récente. Cette région, située à un carrefour entre Europe occidentale et monde russe, n’a jamais eu de frontières clairement définies et a connu divers peuplements au cours de son histoire. L’identité ukrainienne aujourd’hui est constituée de ces influences multiples qui en font un pays complexes et traversés par des enjeux identitaires : linguistiques, religieux et finalement politiques.

On oppose souvent une Ukraine occidentale, rurale, pro-européenne et ukrainophone à une Ukraine orientale, industrielle et russophone. S’il est vrai que cette opposition existe, les contours de ces « deux Ukraine » ne sont pas parfaitement définis et de nombreux éléments de l’une se retrouvent aussi chez l’autre1. On pourrait ajouter que si l’on s’attache aux différences on pourrait identifier non pas deux mais une multitude d’Ukraine différentes, chaque région ayant ses particularités, ses attaches et son histoire propre. L’identité ukrainienne est donc complexe et il faut revenir un peu sur l’histoire de ce pays pour en discerner les contours.

Intégrée aux empires Austro-Hongrois, Polonais, Russe puis Soviétique, l’Ukraine ne manque pas pour autant d’une certaine singularité culturelle qui en a toujours fait un territoire à part et reconnu comme tel. Aujourd’hui Etat indépendant, ce pays se cherche une identité sur fond de rivalités entre une Union Européenne qui s’élargit à l’Est et une Russie qui entend défendre son influence dans la région. La question de son identité est donc centrale au moment même où le pays est menacé dans son existence par l’annexion de la Crimée et le conflit au Donbass. Alors de quoi l’identité ukrainienne est-elle constituée ? Quels sont les éléments qui font son originalité ? Il apparaît nettement que les discours qui cherchent à réduire l’histoire de l’Ukraine à une longue marche ou à un statut de confins passifs d’empire sont réducteurs et nous pensons que c’est dans la complexité de son histoire, de ses peuplements, de ses réussites et de ses souffrances qu’il faut aller chercher les éléments de réponse à cette question particulièrement épineuse.

La région de l’Ukraine actuelle se situe sur de très anciennes voies de passages, routes commerciales entre le monde grec au sud et l'Europe du Nord. Le Dniepr qui la traverse du Nord au Sud constitue un axe de communication majeur. A l’Ouest, les monts Carpates font office de frontières naturelles. Au Sud-Ouest et au Sud-Est, le Don et le Dniestr qui délimitent grossièrement l’espace qui nous intéresse ici. Les frontières des différents Etats qui se sont succédés dans cet espace depuis le Moyen-Age ne sont pas clairement définies et ont été redessinées à de nombreuses reprises, au fil des conquêtes des uns et des défaites des autres. Pour désigner l'ensemble de l'Ukraine actuelle, on utilisait avant 1918 l'expression « Petite-Russie2 », l'expression « Grande Russie » désignant quant à elle, l'Empire Russe qui s'étendait à l’Est jusqu'à la mer Noire. Le nom même de ce pays pourrait donc laisser croire qu'il s'agit d'une terre périphérique que l'on ne définit que par rapport à son grand voisin russe dont elle ne constituerait que les confins, la marge occidentale. L'Ukraine, c'est le lieu de passage, le lieu où l'on ne s'arrête qu'un moment. Mais c'est aussi le point de contact entre plusieurs empires et donc l'endroit où l'on se bat.

Régions historiques de l’espace ukrainien

Carte réalisée par l’auteur

La première organisation politique d'envergure qui prospère dans la région du Dniepr est la Rus' de Kiev. Issu des chefs varègues arrivés dans la région au IXe siècle et progressivement slavisés, le prince Vladimir entreprend à la fin du siècle suivant d’importantes conquêtes et se constitue un des plus vastes empires européen de l’époque. L’enjeu de l’administration de cet Etat immense est particulièrement important et après avoir placé ses fils aux postes de gouverneurs des principales villes, il se convertit au christianisme byzantin en 988 et en fait une religion d’État. La force unificatrice du christianisme permet de rassembler des territoires très divers et de consolider le pouvoir de Vladimir3. De plus, cela permet de sceller une paix durable avec Byzance ainsi que de faire entrer ce nouvel Etat slave dans le cercle des pays européens. Plus tard, le prince Iaroslav donne à la Rus’ de Kiev sa base juridique avec la Rousskaïa Pravda, recueil de lois qui couronne un processus d’unification administrative des territoires de la principauté. Comme son nom l’indique, le nouvel Etat est centré sur Kiev, au cœur de l'Europe Centrale, sur les rives du Dniepr. Son nom, Rus', est l’origine étymologique de « Russie », ce qui souligne le fait qu’il n'y avait aux X-XIe siècles qu'une seule entité politique et culturelle recouvrant l'actuelle Russie occidentale et le nord de l'Ukraine actuelle. C’est au moment de la désagrégation progressive de cet Etat, au XIIe siècle, que le terme « Ukraine » apparaît. Ce terme, dont l’étymologie est Ou-kraïna4 - « les confins » - désignait à l’origine les marges orientales de la Rus’ de Kiev et c’est donc par métonymie qu’il finit par désigner l’ensemble de la région qui nous intéresse ici. Autre fait marquant de cette époque, l’autonomisation des principautés constitutives de la Rus’ de Kiev et notamment de la Principauté de Vladimir-Souzdal au Nord-Est qui donne naissance au peuple russe. Les deux peuples partagent donc une même origine et ce n’est qu’au XIIe siècle qu’ils se différencient et entrent en rivalité pour le contrôles des régions orientale de la Rus’ kiévienne.

Les principautés de la Rus’ de Kiev en 1237

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A l’Ouest, on assiste à partir de la fin du XIIe siècle à l’émergence de l’État de Galicie-Volhynie qui est vite concurrencé par, le Grand-Duché de Lithuanie, qui au XIIIe siècle s’étend aux frontières occidentale de la Rus' de Kiev et marque profondément le développement politique et culturel de l’Ukraine5. C’est d’abord avec le règne du Grand-Duc Gédymin (1316-1341) que le Grand-Duché, historiquement centré sur la Lithuanie, se lance dans d’importantes campagnes militaires qui mènent à la conquêtes de la partie occidentale des territoires de la Rus’ de Kiev. Le projet politique est de contrôler toutes les terres slaves à l'Est et ses interventions s'étendent jusqu'à Kiev6. Avec cette extension territoriale, le Grand-Duché s'approprie des éléments culturels des Slaves orientaux - également appelés Ruthènes7 - qui peuplent la Rus’ de Kiev. Cette ruthénisation permet au Grand-Duc de gagner en influence dans les provinces slaves qu’il soumet et consolide ainsi son pouvoir pour l’avenir. Son fils, le Grand-Duc Olgierd est très occupé à combattre les chevaliers teutoniques à l'Ouest mais poursuit la politique expansionniste de son père à l’Est8 : Olgierd prend le contrôle de la Volhynie en 1352, de Kiev en 1362 et de la Podolie entre 1363 et 1364. Le Grand-Duché est alors peuplé à 80% de Ruthènes9 mais le pouvoir politique est, lui, aux mains d'une dynastie polono-lithuanienne.

Si le Grand-Duché se ruthénise, notamment à travers la langue, on remarque que l'influence de la Pologne s’étend également vers l’Est dans les régions actuelles de Lvov et de Transcarpatie. La Pologne et le Grand-Duché de Lituanie deviennent théoriquement un seul et même Etats en 1569 avec l'Union de Lublin, mais cette « République des deux Peuples10 » n’empêche pas les potentats locaux de garder leur influence locale11. L'union est surtout l'occasion d'un partage territorial et c’est à la Pologne que reviennent la plupart des terres ukrainienne du Grand-Duché : la Podlachie, la Volhynie, la Podolie, la région de Bratislav et la région de Kiev12. L'influence de la Pologne n'en est que plus importante dans l'ensemble de la région comme en témoignent l'avancée progressive de la langue polonaise parmi les élites13 et le fait que la religion majoritaire du pays devienne progressivement le christianisme catholique, en opposition au christianisme orthodoxe des Ruthènes, hérités de la Rus’ de Kiev. Certains nobles ruthènes s’opposent à cette influence culturelle polonaise, comme le prince Konstantin Vasil Ostrogski (1526-1608) qui fonde une imprimerie ukrainienne dans la ville d'Ostrih14 (vers 1577) où il imprime une bible traduite en langue slave15 en 1581 sur le modèle de Luther et crée un « centre culturel ukrainien16 ». Sans exagérer la portée de cet événement, on peut dire que les Ruthènes développent une conscience nationale dont les vecteurs sont la langue et la religion. La bourgeoisie ruthène défend également la foi orthodoxe et on voit se créer des confréries et des associations dont le but est de promouvoir et défendre l'orthodoxie comme élément de la culture locale. Des écoles sont également créées pour veiller à la transmission du dogme. L'affaire devient politique lorsque le patriarcat de Constantinople offre son soutien explicite aux confréries17 et notamment à la Confrérie de l'Epiphanie de Kiev18, alors que Rome, de son côté, soutient les Catholiques polonais qui cherchent, en plus de défendre leur religion, à renforcer le pouvoir de leur Etat19. L'Union de Brest de 1596 doit mettre fin à ces dissensions en subordonnant toutes les églises à l'Eglise catholiques tout en leur laissant la liberté de culte mais cet union tourne au désastre et les dissensions n'en deviennent que plus fortes20. On peut considérer que ces événements préfigurent la formation d'une identité politique propre en Ukraine et dont les éléments constitutifs sont la langue slave orientale (qui devient plus tard l'Ukrainien et le Biélorusse modernes) et la religion chrétienne orthodoxe.

Grand-Duché de Lithuanie et Royaume de Pologne aux XV-XVIe siècles

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A la même époque apparaît un phénomène social tout aussi fondateur : les Cosaques. Ces chercheurs de butin qui commencent à s’organiser politiquement à partir du XVe ne constituent pas un peuple à proprement parler. Il s’agit plutôt d'« hommes libres21 » qui s’installent progressivement dans les steppes ukrainiennes pour échapper à la domination polonaise. Sous le coup des attaques récurrentes des Tatares, ils sont rejoints par des guerriers et mercenaires et fondent une société « libre » et particulièrement militarisée. Les cosaques donnent naissance, au XVIIe siècle, à une organisation politique assez évoluée, que l'on pourrait comparer à un Etat et que l'on nomme l'Hetmanat cosaque. Son leader politique est élu et beaucoup y voient une préfiguration des aspirations démocratiques des Ukrainiens22. En réalité, il s'agissait de structures politiques modestes dont les élections s'apparentaient d'avantage à une allégeance envers un leader charismatique qu'à un véritable choix politique. Les combats contre les Polonais sont incessants et c’est dans ce contexte de guerre permanente qu’émerge la figure de Bohdan Khmelnytsky. Ce fils de nobliau ukrainien parvient à devenir hetman du Sitch des Zaporogues23 en 1648 et organise une des plus importantes révoltes « de d'Europe du début des Temps modernes24 ». Khmelnytsky obtient plus d'indépendance vis-à-vis des rois et de la noblesse polonaise au terme d’une l'insurrection particulièrement sanglante25. A sa mort, les territoires cosaques qui s’étendent sur près de la moitié des terres de l’ancien Royaume de Pologne sont divisés entre ses héritiers et tombent sous l’influence de la Pologne à l’Ouest et de la Moscovie à l’Est26.

Ilya Répine, « Les Cosaques zaporogues écrivent une lettre au sultan de Turquie », entre 1880 et 1891
Les Cosaques représentent un idéal de liberté et de démocratie dans l’imaginaire collectif ukrainien

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La Moscovie est un royaume important à l'Est de l’Ukraine qui s'étendait sur les plaines allant de Moscou à la Carélie au Nord et au fleuve Don au Sud. Ce grand royaume qui prétend perpétuer la tradition byzantine en se proclamant Troisième Rome, entretient des rapports conflictuels avec les rois catholiques d'Europe Centrale et Orientale. Si les Cosaques d'Ukraine étaient en guerre incessantes contre les rois polonais, ils préféraient encore les Polonais aux Moscovites jugés trop ancrés dans la tradition byzantine27. Dans ce jeu de puissances auquel se livrent les Cosaques, entre Moscovites d'un côté et Polonais de l'autre, un dénommé Ivan Mazepa joue un rôle particulièrement important. Cet hetman cosaque sert d'abord à la cour du roi de Pologne avant de servir le tsar de Moscovie puis de devenir le chef des Cosaques zaporogues. Au moment où le roi Charles XII de Suède se lance dans une politique expansionniste guerrière, Mazepa qui reste fidèle aux Moscovites se retourne brusquement contre ses alliés et se rapproche de la Suède contre la Moscovie en 1708. Le tsar Pierre Ier réagit rapidement et reprend progressivement le contrôle politique du territoire de la Rive-Gauche28, fief de Mazepa. En 1721, ce dernier proclame l'Empire de Russie et incorpore les territoires ukrainiens mettant ainsi fin à la révolte de Mazepa et à l’État cosaque.

Les violentes répressions dirigées contre les Juifs au moment des révoltes de Khmelnytsky et de Mazepa constituent l'une des premières manifestations d'un antisémitisme violent dans la région. Les Juifs sont, en effet, établis de longue date dans la région. Beaucoup fuient l'Europe Occidentale à la fin du XVe siècle (1492 en Espagne) pour rejoindre, entre autres, la Pologne, considérée comme plus tolérante sur le plan religieux29. En 1648, ils représentent entre 5 et 7 % de la population du royaume polono-lituanien30 et développèrent une culture riche qui rayonne sur toute la région31 et est au cœur des bouillonnements intellectuels de l’Europe Centrale et Orientale du Moyen-Age. Les Juifs habitent les quartiers qui leur sont réservés, essentiellement dans les villes, et exercent des métiers requérant un certain niveau de qualification. La culture juive basée sur les écrits (Torah et talmud) favorise un taux d'alphabétisation élevé et les activités bancaires souvent dénigrées par les chrétiens voire interdites par les musulmans ottomans leur sont attribuées. L’émergence d’un projet national en Ukraine se heurte aux résistances des minorités qui ne se limitent pas aux Juifs. Les Grecs orthodoxes sont également établis sur les bords de la mer Noire, particulièrement à Marioupol, et leur présence remonte à l'Empire Byzantin. L'orthodoxie slave favorise leur implantation et ces communautés, très représentées parmi les commerçants et les marins, apportent également beaucoup aux Slaves orientaux. Enfin, et même si l'orthodoxie est un élément central de la culture des Slaves orientaux, l'influence catholique polonaise s'étend également en Ukraine où l'on note la présence d'une minorité de chrétiens de rite byzantin bien qu’affiliés à Rome : les Uniates.

L'origine turque du phénomène cosaque met en lumière une autre influence orientale importante dans la région et qui contribue elle-aussi à la formation de l'identité ukrainienne. Arrivés des steppes de Sibérie et de Mongolie au XIIIe siècle avec l'armée de Gengis Khan, ces guerriers nomades s'établissent d'abord sur les bords de la Volga, dans la région de l'actuelle Kazan32. Une partie de ces Tatars continue de mener une vie nomade faite d'élevage et de razzias qui les conduit jusque dans le Sud de l'Ukraine actuelle où leur arrivée rencontre la résistance des Cosaques. Ces Tatars s’établissent finalement en Crimée et mettent en place une organisation politique d'importance : le Khanat de Crimée33. Leur Etat joue le rôle d'une organisation politique tampon entre les Slaves au Nord et les Ottomans au Sud. Plus volontiers favorables aux Ottomans musulmans, les Tatars de Crimée se rendent fameux en Ukraine pour leurs razzias, leurs enlèvements et leur violence. Suite à la guerre russo-turque de 1768-1774, le Khanat de Crimée est vaincu et annexé à la Russie. Les Tatars de Crimée sont persécutés et déportés34 mais une communauté tatare existe encore aujourd'hui en Crimée. L'influence tatare se repère dans la langue ukrainienne par de nombreux emprunts dans le vocabulaire de la vie de tous les jours.

A partir du XVIIIe siècle l’Ukraine tombe sous l’influence de l’Empire russe. Elle n’en ressort que brièvement en 1918-1920 pour finalement être intégrée à l’URSS. Au même moment, les régions les plus occidentales de l’Ukraine, la Galicie et une partie de la Volhynie, sont intégrées à l’Empire des Habsbourg. A l’Est, l’influence russe s'avère déterminante, notamment à l'époque soviétique (1922-1991) où l'Ukraine constitue une région stratégique tant pour ses réserves agricoles que pour sa proximité géographique avec l'Europe Occidentale et son débouché sur la mer Noire. Durant cette période de domination étrangère, l'Ukraine est le théâtre de nombreux mouvements nationalistes écrasés férocement par les autorités centrales. La répression est d'autant plus féroce que l'Ukraine est vitale pour l’Empire Russe et, par la suite, l'URSS. En effet, il s'agit de la région la plus fertile du pays avec un rendement agricole bien supérieur à n'importe quelle autre région. De plus, le premier plan quinquennal de 1928 place l'Ukraine au cœur du processus d'industrialisation voulu par les leaders communistes et centré surtout sur la région du Donbass, dans l'Est de l'Ukraine35. Enfin, l’Ukraine fournit le personnel formé dont la Russie a besoin pour son administration et de nombreux postes de dirigeants sont occupés par des ukrainiens. En effet, la population ukrainienne est particulièrement éduquée et constitue, notamment à l’époque soviétique, « l'élite du complexe militaro-nucléaire soviétique36 ». C'est notamment en Ukraine que sont construits et conçus les avions Antonov et que sont produits la plupart des missiles stratégiques soviétiques. Les leaders nationalistes en exil sont scrupuleusement assassinés par le KGB. Lev Rebet est empoisonné 1957 et Stépan Bandera en 1959. Tous deux furent assassinés à Munich par Bohdan Stachynsky, un agent du KGB qui fait défection quelques années plus tard. Pour mater le nationalisme ukrainien, Staline va jusqu'à organiser de toutes pièces une famine en 1932-1933. Ces événements, que l'on appelle Holodomor37 en Ukraine et dont on ne connaît pas encore l'étendue exacte faute d'archives, est un événement fondateur de l’identité ukrainienne contemporaine. Si les massacres sont conséquents, il faut noter qu’il est difficile de parler de génocide dans la mesure où le but n'était pas de supprimer un peuple mais une classe et plus particulièrement la paysannerie ukrainienne porteuse d'une identité nationale en contradiction avec les principes du marxisme-léninisme soviétique. De cette période, une partie des Ukrainiens gardent un fort ressentiment envers les Russes et leurs compatriotes russifiés du Donbass notamment.

Ces influences très diverses posent la question de l’existence d'une identité ukrainienne à part entière. On serait en effet tentés d'affirmer que l'identité ukrainienne n'est qu'un amalgame d'éléments étrangers, mis bout à bout sans aucune cohérence. Il convient de rappeler qu'une identité est nécessairement le fruit d'un processus artificiel et que cela est encore plus vrai dans le cas d'une identité nationale. Aucun peuple n'a reçu son identité nationale de la nature et la création d'une nation est toujours le fruit d'un travail volontairement engagé par des élites politiques dans le but de rassembler, d’unifier sous leur contrôle des populations qui ont parfois peu de choses en commun.

Dans le cas de l'Ukraine, nous avons vu que les influences étaient très diverses. Si le peuple ukrainien est incontestablement slave, des éléments d’autres civilisations se sont incorporés à l’identité ukrainienne au cours des siècles. L’enjeu pour l’Ukraine aujourd’hui est de prendre conscience de cette pluralité et accepter une identité complexe, en contradiction avec les simplifications servies jusqu’ici aux Ukrainiens à des fins politiques. Il existe une seule Ukraine, avec des régionalismes forts et des particularismes linguistiques, mais l’unité du peuple ukrainien est une réalité. La guerre récente et les manipulations des deux côtés mettent en danger cette conception et l’unité du pays au profit d’une puissance étrangère qui n’en attendait pas moins pour étendre son influence.

Avril 2019

1.Mykola Riabtchouk, De la « Petite-Russie » à l’Ukraine, L’Harmattan, Paris, 2003, pp. 91-110

2.L'expression provient d'un calque du grec Μικρά Ρωσία. ibidem p. 564.

3.Arkady Joukovsky, Histoire de l’Ukraine, éditions du Dauphin, 2005, p. 12

4.Le terme désigne un lieu frontalier et provient de la préposition U, qui désigne la proximité immédiate et le terme slave kraj qui désigne un bord, une extrémité. voir : Макс Фасмер, Этимологический словарь русского языка, из. «Прогресс», Москва, 1986 [seconde édition], t. 4, p. 156-157

5.Ihar Lalkoù, Aperçu de l'histoire politique de Grand-Duché de Lituanie, l'Harmattan, Paris, 2000, pp. 3-13.

6.Idem, p. 23

7.Le mot « Ruthénie » provient d'une latinisation du mot Rus' et recouvre des réalités assez différentes au cours de l'histoire (Andreas Kappeler, Petite histoire de l'Ukraine, Institut d'Etudes Slaves, Paris, 1997, p. 48). Quant au mot « Ruthène », il désigne généralement à cette époque les Biélorusses et les Ukrainiens (Lalkoù, 2000, p. 24.)

8.Iaroslav Lebedynsky, Ukraine, une histoire en question, l'Harmattan, Paris, 2008, p. 86

9.Lalkoù, op. cit., p. 24

10.Rzeczpospolita obojga narodów en polonais.

11.Lalkoù, op. cit., p. 46

12.Joukovsky, op. cit., p. 33

13.idem, p. 35

14.Grande ville de Volhynie d'où est originaire la famille Ostrogski.

15.Langue que l'on appelle aujourd'hui le vieux-slave (Старославянский) et qui a donné la langue liturgique des orthodoxes slaves : le slave ecclésiastique (Церковнославянский).

16.Joukovsky, op. cit., p. 35

17.idem et Lebedynsky, op. cit., p. 102

18.idem

19.Joukovsky, op. cit., p. 35-36

20.Lebedynsky, op. cit., p. 103

21.Le mot « cosaque » provient du terme turco-tatar qazaq (Макс Фасмер, op. cit., t. 2, p. 158) qui désigne un « homme libre » ou un « dissident » (Lebedynsky, op. cit., p. 92). A noter que Max Vasmer soutient que ce terme n'est pas à rapprocher du terme Kazakh, qui désigne les habitants des steppes du Kazakhstan et ce contrairement à une opinion répandue, mais plutôt de la racine turque *qaz-, dont provient le verbe turc moderne kazmak qui signifie « gagner », « vaincre ».

22.Jill EMERY et Jean-Michel CARRE, Ukraine de la démocratie au chaos, diffusé sur RTBF le 6 juin 2012.

23.Le Sitch (сич) est une organisation politique territoriale, ou un « foyer ». Les Zaporogues sont les Cosaques qui vivent au sud des rapides du Dniepr d'où leur nom (en russe : za, « au-delà » et porog, « le seuil » ou « la cataracte » en parlant d'un fleuve)

24.Kappeler, op. cit., p. 59

25.idem

26.Arkady Joukovsky, op. cit., p. 45

27.idem

28.Il s'agit de la rive gauche du Dniepr entre Tchernihiv et Poltava.

29.L'Empire Ottoman et particulièrement Constantinople est également une destination importante pour ces Juifs chassés d'Europe Occidentale.

30.Marie-Elisabeth Ducreux, Les Juifs dans les sociétés d'Europe centrale et orientale du XVIe au XVIIIe siècle, dans Antoine Germa (dir.), Les Juifs dans l'histoire, Éditions Champ Vallon, 2011, p. 333

31.Ces Juifs que l’on nomme Ashkénazes s'expriment dans un dialecte judéo-allemand le Yiddish.

32.Qui correspond aujourd'hui, grosso modo, à la République du Tatarstan au sein de la Fédération de Russie.

33.Khanat, du mot khan qui désigne un « seigneur » dans les langues turco-mongoles (voir Gengis Khan, « le seigneur des mers »).

34.Jean-Jacques Marie, Les peuples déportés d’Union soviétique, Bruxelles : Ed. Complexe, 1995

35.Jill EMERY et Jean-Michel CARRE, Ukraine de la démocratie au chaos, diffusé sur RTBF le 6 juin 2012.

36.idem

37.Голодомор, littéralement « la mort par la faim ».