A l'Est, quoi de nouveau ?

Nouvelles d'Europe Centrale et Orientale.

Par Robin Durand

A en croire un dicton bien connu en Russie, le pays connaîtrait deux principaux fléaux : les cons et les routes1. N’ayant pu trouver aucun remède pour le premier, les Russes se sont très tôt attachés à régler le second. Et dans le plus grand pays du monde, où les distances se mesurent généralement en milliers de kilomètres, le problème est de taille. Il faut non seulement pouvoir relier des espaces très distants mais il faut également que cela soit possible dans un temps raisonnable. Il faut ajouter à cela les difficultés liées au caractère particulièrement inhospitalier des espaces à franchir : températures glaciales en Sibérie, permafrost, taïga, forêt de résineux, lac Baïkal ou encore les chaînes de montagnes de l’Oural et de l’Altaï dont les sommets peuvent dépasser les 2000m. Dans ce contexte, l’avion apparaît presque comme une solution miracle. D’abord, l’avion permet d’accéder à des espaces inaccessibles par la terre, ensuite l’avion rend possible le franchissement de distances importantes dans un temps relativement court et enfin l’avion nécessite relativement peu d’infrastructures : un aéroport au départ, un autre à l’arrivée ainsi que quelques balises radio sur le trajet suffisent en théorie. On comprend ainsi mieux pourquoi la Russie a développé très tôt à la fois ses infrastructures aéroportuaires et son industrie aéronautique.

La Russie dispose d’un réseau aéroportuaire très vaste, reliant les principales villes du pays, y compris les plus isolées. L’URSS avait développé jusque dans les années 1990 un réseau d’aéroports et d’aérodrome particulièrement dense. Chaque plan quinquennal attribuait à l’industrie aéronautique et aéroportuaire une importance de premier ordre assurant des investissements conséquents et réguliers. L’accent était mis avant tout sur les vols domestiques ainsi que sur les vols à destination des alliés de l’URSS. Cuba représentait à cet égard une destination à la fois stratégique d’un point de vue politique et difficile d’un point de vue technique. Le développement du Tupolev 114, voulu par Nikita Khrouchtchev dans les années 1950, a ainsi permis de relier Moscou à la Havane sans escale. Cette prouesse technique pour l’époque a également permis d’assurer des liaisons intérieures régulières avec des villes éloignées de Moscou comme Khabarovsk et Alma-Ata2. D’autres appareils moyen-courrier ont été développés par la suite permettant de rejoindre l’ensemble des villes d’URSS par les airs et désenclavant ainsi les territoires éloignés des grandes villes de Russie occidentale.

Source : Agence Fédérale du Transport Aérien, https://www.favt.ru/
Note : L'Agence Fédérale du Transport Aérien ne donne que le nombre de passagers voyageant avec des compagnies russes

Aujourd’hui, près des deux tiers des aéroports en fonctionnement avant 1990 ont fermé. Il faut dire que l’économie dirigée, de rigueur à l’époque, ainsi que les logiques stratégiques propres à la Guerre froide avaient permis la réalisation de projets devenus aujourd’hui complètement obsolètes. Plus besoin, en effet, de maintenir une flotte de bombardiers stratégiques en Sibérie orientale, ni d’assurer de liaisons régulières avec des territoires quasiment inhabités. Cela dit, l’ampleur de la crise a eu des conséquences sur l’ensemble du secteur et les liaisons régionales régulières ont fermé les unes après les autres contribuant à la désertification de nombreuses régions de Russie. Le nombre de passagers par an a rattrapé il y a quelques années seulement son niveau d’avant 1990 après une chute vertigineuse de près de dix ans.

Le secteur connaît aujourd’hui une nette croissance et intéresse les investisseurs étrangers. S'il faut reconnaître qu'on est loin du marché américain, européen ou même chinois, le marché russe reste un marché émergent intéressant, comparable, par exemple, au marché canadien3. La Russie dispose de plateformes aéroportuaires majeures comme le hub moscovite (Domodiédovo, Shérémétiévo et Vnoukovo), l’aéroport de Poulkovo à Saint-Pétersbourg et l’aéroport de Tolmatchiovo à Novossibirsk. A ces cinq aéroports, nous pourrions également ajouter l’aéroport de Iémélianovo à Krasnoïarsk qui a été choisi par la compagnie aérienne Lufthansa pour accueillir sa plateforme cargo asiatique4. Il s’agit là d’ailleurs d’un atout essentiel pour la Russie. Sa position à mi-chemin entre l’Europe occidentale et l’Asie du Sud-est5 lui offre la possibilité de jouer un rôle pivot entre les deux continents dont les échanges ne cessent de croître. C’est là l’ambition affichée de l’aéroport de Tolmatchiovo malgré certaines réticences des compagnies aériennes. La compagnie S76 l’utilise déjà comme hub asiatique. Mentionnons également l’aéroport de Koltsovo à Ekatérinbourg qui sert de hub aux compagnies Transaero7 et Ural airlines à une échelle régionale.

La géodésique reliant Francfort à Shanghai passe à proximité de Krasnoyarsk
Croquis réalisé par l'auteur

Le Sud du pays8 constitue une autre région particulièrement attrayante. Il s’agit d’abord de la région la plus densément peuplée de Russie mais également de la région qui compte le plus de villes de plus d’un million d’habitants. De plus, c’est dans cette région que se trouve l’essentiel des stations balnéaires de Russie (Anapa, Guélendjik, Sotchi, Taganrog principalement). Notons à ce sujet que le tourisme représente encore l’essentiel du trafic aérien en Russie et que la plupart des aéroports doublent leur trafic pendant la période estivale avec des vols charter pour les stations balnéaire de Méditerranée et de la Mer Rouge. Notons enfin l’effet bénéfique sur les investissements de la Coupe du Monde de football 2018. Pour assurer la connexion entre les 11 villes organisatrices9, les autorités ont réalisé des travaux de rénovation dans 13 aéroports du pays. Ces travaux interviennent quatre ans seulement après les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi qui avaient permis, en 2014, la rénovation complète de l’aéroport d’Adler.

Données : Agence Fédérale du Transport Aérien, https://www.favt.ru/
Carte réalisée par l'auteur

Au-delà du tourisme, notons également le fort potentiel des aéroports situés à proximité de zones minières, gazières ou pétrolifères majeures comme l’Oural et plus particulièrement les régions de Khanty-Mansiysk et de Kémérovo, le fameux Kouzbass. Ces aéroports, que certains appellent les « pépites » sont souvent la propriété des compagnies exploitantes comme Gazprom qui dispose d’une filiale aéroportuaire dénommée Gazpromavia. L’aéroport de Norilsk, par exemple, est la propriété du principal producteur de nickel de la région, Norilski Nikel, et a vu son volume de fret doubler ces deux dernières années. Même chose pour l’aéroport de Mirny en Sibérie construit a proximité d’une importante mine de diamant. La géographie du transport de fret est donc davantage liée à la géographie industrielle de la Russie dont l’économie est encore largement tournée vers l’extraction de matières premières.

Données : Agence Fédérale du Transport Aérien, https://www.favt.ru/
Carte réalisée par l'auteur

On le voit le secteur du transport aérien reflète les particularités de l’espace russe : un territoire immense dont une grande partie n’est accessible que par les airs, le développement récent du tourisme balnéaire dans le Sud du pays et à l’étranger et enfin une économie tournée principalement vers les industries extractives. A l’échelle internationale, la Russie a manifestement une carte à jouer dans les échanges mondiaux de par sa position centrale mais la situation politique actuelle freine le développement de ce secteur.

Septembre 2019

1.Le dicton est souvent attribué à l’écrivain Nikolaï Gogol mais aucun écrit ne permet d’en tracer l’origine exacte.

2.Voir à ce sujet l’excellent site amateur http://avia-simply.ru/samolet-tu-114/

3.En 2017, le Canada a comptabilisé 91 millions de passagers pour 89 millions en Russie. A titre de comparaison, les Etats-Unis, la Chine et l’Union Européenne dépassent chacun les 500 millions. Source : "Air transport, passengers carried | Data" data.worldbank.org

4.Notons que Lufthansa Cargo rencontre des problèmes administratifs en Russie et évoque l’idée de se replier sur un autre pays.

5.En suivant une course orthodromique.

6.Quatrième compagnie russe, 7 millions de passagers par an.

7.Deuxième compagnie russe, 12,5 millions de passagers par an.

8.Nous entendons par Sud de la Russie toute la région qui se trouve au sud de Volgograd : le Delta de la Volga (Astrakhan), la Ciscaucasie ou Caucase russe et la région de Krasnodar (Rostov-sur-le-Don).

9.Moscou, Kaliningrad, Saint-Pétersbourg, Volgograd, Kazan, Nijni-Novgorod, Samara, Saransk, Rostov-sur-le-Don, Sotchi et Ekatérinbourg.