A l'Est, quoi de nouveau ?

Nouvelles d'Europe Centrale et Orientale.

Par Robin Durand

Petit Etat enclavé du Caucase issu de l’émiettement de l’URSS, l’Arménie attire peu l’attention internationale. Même lorsque, très récemment, au printemps 2018, des manifestations de masse sont organisées dans tout le pays pour protester contre la corruption et l’élite installée au pouvoir depuis l’indépendance1, allant jusqu’à entraîner une refonte complète des institutions politiques arméniennes, la presse internationale ne relate que brièvement ces événements exceptionnels pour ce pays. La complexité de sa situation géopolitique y est surement pour quelque chose. Le pays, dont la plupart des frontières sont fermées pour cause de conflit, ne dispose d’aucun accès à la mer. Isolée et particulièrement dépendante de l’aide russe, l’Arménie est dirigée depuis son indépendance en 1991 par une classe politique fortement marquée par la corruption et incapable de proposer des solutions à la crise économique que connaît le pays. Difficile dans ces conditions de comprendre l’Arménie et d’en cerner le fonctionnement, d’autant plus que les sources sur ce pays sont rares et souvent non traduites.

L’Arménie a pourtant des atouts qui méritent qu’on s’y arrête un peu plus longuement. Le pays dispose de minerais qui lui ont permis de développer une industrie de pointe à l’époque soviétique et que des investissements extérieurs pourraient raviver. Sa population, dynamique2 et bien formée3, constitue un vivier de talents pour une économie de services encore modeste mais prometteuse. Enfin et surtout, l’Arménie, un des plus vieux Etats d’Europe, dispose d’un patrimoine multimillénaire d’une richesse culturelle souvent insoupçonnée. Premier Etat chrétien de l’histoire, ses églises sont parmi les plus anciennes au monde et la diversité de ses paysages attire un public de touristes chaque année plus nombreux4.

Une chose est sûre, la géographie si particulière de l’Arménie est à la fois source d’une incroyable complexité et atout indéniable pour l'avenir. Alors, la géographie est-elle à la fois le problème et la solution pour l’Arménie contemporaine ? Pour répondre à cette question il faut commencer par replacer ce pays dans son contexte régional et décrypter les conflits qui le traversent. Les récents événements qu’a connus le pays sont aussi l’occasion d’évoquer les défis et les perspectives de l’Arménie contemporaine, à la fois complexe, en mutation et encore largement méconnue.

L’Arménie est située dans le sud Caucase, à mi-chemin entre mer Caspienne et mer Noire, au centre d’un massif montagneux auquel elle a donné son nom. Zone de contact entre les mondes turc, russe et perse, le Caucase est une région traversée par des flux importants. C’est en effet à cet endroit que se croisent les routes reliant l’Europe à l’Asie centrale via la célèbre route de la soie. C’est aussi par le Caucase que la Russie accède aux « mers chaudes » - mers Noire, Caspienne et Méditerranée - qui lui donnent accès au commerce maritime. Le Caucase, enfin, concentre des ressources minérales importantes convoitées par les puissances voisines. Mais le Caucase représente également une barrière naturelle qui protège contre les agressions extérieures, dans une région marquée par les invasions turco-mongoles et les rivalités entre puissances. Car si le Caucase est une région de passage, il constitue également un refuge. Que ce soit pour les brigands, les communautés religieuses opprimées ou les minorités ethniques des Empires voisins, cette région offre une protection idéale avec ces hautes montagnes difficilement accessibles. Cette situation fait du Caucase une véritable mosaïque culturelle et linguistique. En résumé, il s’agit d’une région qui réalise le paradoxe, d’être à la fois au carrefour des échanges et particulièrement isolée. C’est dans ce contexte que l’Arménie se développe dès l’Antiquité.

Carte topographique du Caucase

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Dès le IInd siècle av. J.-C., la population de cette partie de l’Empire séleucide5 tire profit de sa position stratégique pour s’enrichir et fonder une dynastie autonome qui devient rapidement le plus puissant allié de Rome dans la région6. Au Ier siècle av. J.-C., sous le roi Tigrane le Grand (95-55 av. J.-C.), l’Arménie s’étend de la Caspienne à la Méditerranée et assure la stabilité des marges orientales du monde romain7. Par la suite, l’Arménie est intégrée successivement aux Empires turc, perse puis russe et enfin soviétique et perd une grande partie de son territoire historique par le jeu des découpages territoriaux. Chaque Empire rogne un peu plus le territoire de l’Arménie historique au gré des conquêtes, si bien qu’il existe aujourd’hui non pas une mais deux Arménie distinctes : un Etat moderne d’Arménie, aux frontières internationalement reconnues et issu de la République éponyme d’URSS, et une Arménie « mentale », beaucoup plus vaste, qui correspond à la zone historique de peuplement arménien. Le mont Ararat, par exemple, symbole omniprésent dans l’iconographie nationale, est officiellement situé en territoire turc. Il en va de même des lacs de Sevan, Van et Ourmia, dont seul le premier fait partie de l’Arménie actuelle8 bien que les trois soient perçus par les Arméniens comme appartenant à leur nation.

Extension territoriale de l'Arménie au Ier siècle av. J.-C.

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L’Arménie dispose également d’une culture riche et diverse, fruit de sa longue histoire. En 301 de notre ère, l’Arménie se convertie au christianisme. Premier Etat officiellement chrétien9, l’Arménie adopte un christianisme miaphysite original qui fonde son identité nationale et la distingue de ses voisins. Si le choix du Christianisme peut sembler un pari risqué au tout début du IVe siècle, ce choix s’avère salutaire pour cet Etat vassal de Rome au moment où son puissant allié l’adopte à son tour, conférant ainsi à cette religion sa dimension universelle. En outre, la christianisation permet le développement d’une littérature religieuse. La Bible est traduite en arménien à l’aide d’un alphabet original créé à partir des alphabets grec et araméen. Cette littérature sacrée donne très tôt naissance à une littérature laïque qui constitue aujourd’hui un autre élément fondateur de la culture arménienne. Cette culture unique et très ancienne, source de fierté pour le peuple arménien, est également perçue comme étant à défendre et ce qui semble caractériser le plus l’identité arménienne, c’est la mémoire que ce peuple cultive de son histoire et de ses souffrances.

Le jeune Etat arménien est marqué par les conflits au premier rang desquels figure un bras de fer mémoriel avec la Turquie au sujet du Génocide de 1915 qui intervient au début du XXe siècle, alors que l’Arménie est en partie située sur le territoire de l’Empire ottoman. Le projet des nationalistes turcs de cet empire multinational est alors de créer un Etat turc réduit au plateau anatolien et ethniquement homogène. Projet rendu impossible par la présence de nombreuses minorités ethniques dans cette région, au premier rang desquelles deux millions d’Arméniens installés dans les régions de Kars, Erzurum, Van et dans les grandes villes portuaires de la côte égéenne. Les Arméniens de l’Empire ottoman sont la cible des nationalistes et les violences deviennent récurrentes. Au printemps 1915, à la faveur du chaos dans lequel l’Empire Ottoman est plongé à la suite de la Première Guerre mondiale, un groupe d’extrémistes issus du parti « Jeunes Turcs » au pouvoir décide l’extermination pure et simple des Arméniens présents sur les franges orientales de l’Empire. La méthode utilisée principalement est la déportation. Entre 800 000 et 1 200 000 Arméniens sont envoyés de force dans les régions désertiques d’Anatolie et de Syrie. Privés d’eau et de nourriture, la plupart d’entre eux meurent en chemin et les quelques survivants qui parviennent à gagner une ville côtière émigrent vers l’Europe ou l’Amérique du Nord. Ce génocide marque profondément la mémoire collective des survivants et constitue aujourd’hui un élément fondateur de l’identité arménienne moderne et le refus par la Turquie de reconnaître officiellement cet événement comme un génocide est au cœur du conflit qui oppose les deux pays depuis plus d’un siècle. La Turquie s’oppose en effet systématiquement à toute tentative de reconnaissance du génocide par des instances internationales et pèse de tout son poids pour empêcher l’Arménie de le faire reconnaître. Ce génocide que les Arméniens appellent « Aghet », la catastrophe, marque également une importante vague d’émigration qui voit l’Arménie perdre une grande partie de sa population. Ces relations tendues avec la Turquie ont des conséquences concrètes pour la jeune Arménie : la frontière avec la Turquie, qui se trouve être la seconde plus longue frontière extérieure de l’Arménie10, est fermée depuis 1994. Les relations avec la Turquie sont réduites au strict minimum de même que les échanges de part et d’autre de la frontière. C’est une difficulté supplémentaire pour l’Arménie qui souffre déjà de son enclavement et d’un second conflit, armé cette fois-ci, au sujet du Haut-Karabagh.

Avec la création de nouveaux Etats dans la région, les anciennes délimitations administratives entre républiques soviétiques deviennent des frontières internationales et dont on s’empresse de garantir qu’elles ne changeront pas par l’accord de Minsk de 1991. Ces nouveaux Etats, souvent tentés par le modèle de l’État-nation, mettent en place des politiques en faveur des majorités ethniques11 : azérie en Azerbaïdjan, arménienne en Arménie, kartvèle en Géorgie. Le Haut-Karabagh12, région montagneuse, majoritairement peuplée d’Arméniens et enclavée en territoire azerbaïdjanais, fait ainsi l'objet, dès le milieu des années 1980, de politiques d’assimilation côté azerbaïdjanais et de revendications territoriales côté arménien. Si les premiers affrontements débutent dès 1988 - avec, notamment, le massacre de Soumgaït - le différend dégénère en conflit armé après l’indépendance des deux Etats. A la suite de plusieurs victoires militaires, l’Arménie, qui bénéficie d’un accès plus facile à la région, occupe la majeure partie du Haut-Karabagh ainsi que la zone tampon située entre son propre territoire et la région montagneuse. Jusqu’au cessez-le-feu de 1994, le conflit, fait 80 000 morts et marque profondément la vie politique de la jeune Arménie13. Aujourd’hui, le conflit n’est toujours pas résolu et cette région, qui s’est autoproclamée Etat indépendant, est administrée de facto par l’Arménie et solidement ancrée au territoire arménien14. De son côté, l’Azerbaïdjan revendique ce territoire et peut compter sur le soutien de la Turquie voisine et alliée naturelle15.

Situation territoriale du Haut-Karabagh

Wikimedia commons, Bourrichon [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)]

La chute de l’Union Soviétique entraîne également des difficultés économiques. En effet, l’URSS avait massivement investi dans l’économie arménienne et notamment dans le secteur industriel16 et les technologies de pointes17. Dans le cadre de la politique économique de différentiation qui était pratiquée au sein de l’Union, l’Arménie avait hérité des industries lourdes. La région d’Erevan, par exemple, avait vu la construction de nombreuses usines automobiles, de machines-outils, industries sidérurgiques (aluminium), et concentrait à elle seule les deux tiers de la population de la république avec une population active majoritairement employée dans le secteur industriel. Ses industries pouvaient d’ailleurs compter sur l’énergie produite par la centrale de Metsamor, unique centrale nucléaire du Caucase, qui illustre l’importance des transferts consentis par l’État central envers la république soviétique d’Arménie. L’immense marché intérieur que constituait l’URSS et la planification économique au niveau de l’Union assuraient des débouchés pour ces productions et ont définitivement orienté l’économie arménienne vers les industries lourdes – particulièrement choyées en Union Soviétique. Aujourd’hui, l’Arménie est en reconversion économique et doit trouver une manière de se diversifier et d’attirer les investissements dans un pays marqué par les conflits et la corruption.

Les enjeux sont donc importants pour l’Arménie. Il s’agit avant tout de bâtir un Etat de droit qui permette au pays de sortir d’une situation économique et diplomatique difficile. L’Arménie est dirigée depuis son indépendance par une poignée d’hommes issus du conflit au Haut-Karabagh18 et il n’y a pas eu d’alternance politique jusqu’en 2018. Bien que la croissance de l’économie arménienne se soit élevée à 7,5 % en 2017 et que le PIB ait été multiplié par cinq en quinze ans, les fruits de la croissance ne sont pas redistribués à la population dont un tiers vit en dessous du seuil de pauvreté19. L’administration publique, après soixante-dix ans de communisme, est marquée par une forte tendance à la bureaucratisation. La diaspora, qui permet à la culture arménienne de se projeter à travers le monde, est également une source de financement importante. 20 % du PIB de l’Arménie est constitué de transferts de la diaspora20. Si les généreux donateurs ne manquent pas, la corruption et l’absence d’Etat de droit, découragent les investissements à long terme dont le pays a besoin. C’est dans ce contexte que débutent les manifestations de l’année 2018 pour exiger un nouveau modèle de développement. D’abord organisé sur le modèle de la marche vers la capitale, le petit groupe entourant le député Nikol Pachinian à Gyumri devient une foule de dizaines de milliers de personnes à Erevan. Une personne sur cinq en Arménie aurait participé à cet événement sans précédents21. Aujourd’hui premier ministre d’un nouveau régime parlementaire, Nikol Pachinian va devoir composer avec la réalité de la situation de son pays pour allier aspirations démocratiques et enjeux stratégiques notamment sur les questions du Haut-Karabagh et des relations avec Moscou. S’il peut compter sur le soutien de la population arménienne pour bâtir l’État de droit dont le pays a besoin, la tâche sera certainement plus difficile à l’échelle régionale où l’urgence est de normaliser les relations avec la Turquie et de trouver une solution au conflit du Haut-Karabagh.

Ces deux conflits isolent l’Arménie sur la scène internationale est la rendent dépendante du bon vouloir de ses alliés. Avec ses 1300 km de frontières extérieures fermées, l’Arménie n’est aujourd’hui pas capable de survivre sans l’appui de l’Iran pour son énergie et surtout de la Russie pour sa sécurité. L’Iran avec qui l’Arménie partage une petite frontière via le corridor de Meghri entretient de bonnes relations avec Erevan, favorisées par leurs isolements respectifs et l’allié russe commun. L’Iran apprécie d’avoir un allié dans cette région stratégique du Caucase et l’Arménie de pouvoir compter sur les ressources énergétiques iraniennes22. Lors d’un récent déplacement du président arménien Armen Sarkissian en Iran et sa rencontre avec l’ayatollah Khamenei les discussions ont essentiellement tourné autour de la coopération économique23. Car le cœur des relations arméno-iraniennes c’est le gazoduc ouvert entre les deux pays en 2007 et qui relie l’Arménie au réseau iranien via Tabriz. Construit grâce aux financements d’ArmRosGazProm, la filiale arménienne du russe GazProm, ce gazoduc, réduit en capacité pour empêcher l’Iran d’accéder aux marchés européens, est surtout conçu pour alimenter la centrale électrique de Hrazdan, près du lac Sevan, en échange d’électricité bon marché. La Russie veille donc attentivement à contenir ce partenariat dans des limites étroites pour défendre ses propres intérêts. La Russie, bien que n’ayant pas de frontières communes, est très présente en Arménie et contribue pour près de 40 % aux investissements directs étrangers dans le pays24. Tantôt soutien indéfectible, tantôt tentée de soutenir l’Azerbaïdjan, la Russie joue avec la sensibilité arménienne sur la question du Haut-Karabagh au gré de ses intérêts changeants en prenant soin de maintenir l’Arménie dans une relation de dépendance économique forte. La Géorgie voisine, enfin, avec ses quelques 120 km de frontières communes, pourrait également constituer un débouché pour l’Arménie et lui permettre accéder aux ports de la mer Noire et par là même au commerce maritime mondial. Mais, là aussi, les relations entre les deux pays ne sont pas particulièrement stables. La minorité arménienne du Djavakheti en Géorgie a longtemps supporté l’autonomie de cette région dans un pays fortement touché par les séparatismes25. Mais c’est surtout le soutien russe qui chiffonne le voisin géorgien. La Géorgie se méfie en effet de plus en plus de son petit voisin allié au pays qui soutient l’indépendance de deux régions géorgiennes : l’Abkhazie, aujourd’hui de facto indépendante, et l’Ossétie du Sud. Cette situation met l’Arménie dans une situation délicate. Le gouvernement arménien marche sur des œufs et la position actuelle est une sorte d’entre-deux car l’Arménie ne reconnaît pas l’indépendance des deux territoires mais affirme leur droit à l’autodétermination… L’Arménie doit donc sortir de ses conflits au premier rang desquels figure le Haut-Karabagh. Conscients du fait que ce conflit hypothèque l’avenir économique du pays, les dirigeants arméniens, souvent prompts à jouer sur la corde nationaliste à des fins électorales, se sont montrés incapables de trouver une sortie honorable pour les deux camps. Un plan d’échange de territoires a pourtant été proposé dès 1992 par le département d'Etat américain26. Ce plan, qui prévoit l’attribution du Haut-Karabagh et du corridor de Latchine à l’Arménie et échange de l’attribution du corridor de Meghri à l’Azerbaïdjan, permettrait d’assurer aux deux pays une continuité territoriale et de normaliser leurs relations. Ce serait également l’occasion d’offrir au voisin turc un accès direct à la Caspienne et au monde turc d’Asie centrale via le Nakhitchevan et obtenir en échange des concessions sur la reconnaissance du Génocide. Mais si l’Iran et la Russie se sont tout de suite opposés à cet accord, c’est surtout la population arménienne, très marquée par les discours nationalistes qui accompagnent ce conflit depuis le début, qui n’accepte pas d’« échanger un territoire arménien contre un autre territoire arménien27. » Le nouveau gouvernement doit profiter de l’élan populaire qui l’a porté au pouvoir pour donner des garanties aux Arméniens et prendre des engagements en faveur d’un règlement du conflit.

On le voit, l’établissement d’un Etat de droit et la normalisation des conflits est un préalable indispensable au développement d’une économie ouverte capable de sortir le pays de la pauvreté. L’Arménie dispose d’atouts indéniables dans le domaine économique, mais son isolement freine considérablement son développement. Nous avons déjà évoqué l’attrait touristique de ce pays, il y a également les importantes ressources minières. Représentant près de 30 % des exportations de l’Arménie28, les industries extractives sont surtout concentrées dans le sud du pays comme la mine de Kajaran qui fait de la petite Arménie le 6e producteur mondial de molybdène29. Le pays exporte également du minerai de cuivre, d’or et d’autres éléments. Si ces industries sont une source de revenue pour l’Arménie, elles engendrent également une importante pollution dans les régions concernées. Les opérateurs des mines, souvent peu regardants de l’écologie et encouragés par le gouvernement, sont régulièrement accusés de détruire des forêts et de déverser des rejets toxiques sans traitement préalable comme autour de la mine d’or de Sotq dans la province d’Ararat. L’Arménie doit attirer des investissements étrangers pour moderniser ses installations industrielles et ainsi préserver son environnement. La centrale nucléaire de Metsamor qui alimente la capitale Erevan est particulièrement délabrée et considérée aujourd’hui comme une des plus dangereuses au monde30. Malgré cela, l’énergie reste un secteur porteur de l’économie de l’Arménie avec de nombreuses possibilités d’installations hydroélectriques le long du Vorotan et du Hrazdan. Les industries mécaniques et chimiques, héritées de l’époque soviétique sont vétustes mais donnent à l’Arménie des infrastructures intéressantes. Enfin, le secteur des services ne demande qu’à se développer dans un pays où le niveau de formation de la population est assez élevée et les salaires encore bas.

L'économie de l'Arménie contemporaine

Croquis réalisé par l'auteur.

L’Arménie concentre les difficultés de l’espace postsoviétique : absence d’État de droit, corruption, dépendance à la Russie, structures de production obsolètes héritées du socialisme. De plus, l’Arménie contemporaine n’est « ni tout à fait en guerre, ni tout à fait en paix »31, situation qui freine considérablement son développement et son émancipation en tant que pays indépendant. Mais l’Arménie peut tirer parti aujourd’hui de sa situation géographique. Elle pourrait en effet jouer un rôle de pivot dans la région entre monde russe au Nord, monde turc à l’Est et à l’Ouest et monde iranien au Sud. De plus, son économie bénéficie d’atouts importants : touristique, industriel et énergétique. Les récents événements qui ont conduit à un renouvèlement de la classe politique sont certainement une opportunité historique pour l’Arménie. Un gouvernement jeune et soutenu par la majorité des Arméniens pourrait proposer des solutions aux conflits et sortir de la dépendance. Cette transition devient urgente pour faire enfin entrer l’Arménie dans un monde globalisé où elle pourra tirer son épingle du jeu.

Juillet 2019

1.Tigrane Yégavian, « Le second printemps arménien », Le Monde Diplomatique, juin 2018, p. 12.

2.Comité pour les Statistiques de la République d’Arménie, Recensement de 2011, https://www.armstat.am/file/doc/99486203.pdf

3.Comité pour les Statistiques de la République d’Arménie, Recensement de 2011, https://www.armstat.am/file/doc/99486173.pdf

4.Comité pour les Statistiques de la République d’Arménie, http://www.armstat.am/file/article/sv_12_17r_421.pdf

5.La dynastie séleucide est issue du partage de l’Empire d’Alexandre le Grand par ses généraux, les Diadoques, aux IIIe-IInd siècles av. J.-C. C’est de la dynastie séleucide qu’est issu Tigrane le Grand et les Artaxiades.

6.A partir du Ier siècle apr. J.-C., l’extension territoriale de Rome la pousse à se constituer un réseau de royaumes vassaux à ses marges pour assurer sa sécurité. C’est dans ce cadre que l’Arménie devient un allié important, garantissant la stabilité des frontières orientales de l’Empire, notamment face aux Parthes.

7.Annie et Jean-Pierre Mahé, Histoire de l’Arménie des origines à nos jours, Perrin, 2012, p. 50

8.Le lac de Van est aujourd’hui en Turquie, et le lac d’Ourmia en Iran.

9.Les contours dogmatiques du christianisme sont fixés progressivement au cours des IV-Ve siècles de notre ère. Les églises fondées en Arménie et en Ethiopie avant ce processus sont fortement marquées par les conceptions qui prévalaient alors en Orient et que le Conseil de Nicée réfute en 325 apr. J.-C.

10.Soit 311km d’après le CIA World Factbook.

11.Bien que combattant le nationalisme d'une manière générale, l'Union Soviétique favorisait par ailleurs les « nationalités titulaires ». Cf. Jean Radvanyi et Nicolas Beroutchachvili, Atlas géopolitique du Caucase. Russie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan : un avenir commun possible ?, Editions Autrement, 2009, p. 24.

12.Egalement appelé Artsakh (Արցախ) dans les sources arméniennes.

13.Taline Papazian, L’Arménie à l’épreuve du feu : forger l’Etat à travers la guerre, Editions Karthala, Paris, 2016, pp. 187-191.

14.Philippe Descamps, « Etat de guerre permanent dans le Haut-Karabakh », Le Monde Diplomatique, décembre 2012, pp. 18-19.

15.Les Turcs de Turquie et les Azéris sont deux peuples turcs originaire d’Asie et issus des conquêtes des Turcs seldjoukides aux XIIe et XIIIe siècles. Tous deux majoritairement musulmans, bien que les Azéris soient à majorité chiite, ce sont surtout leurs langues, mutuellement intelligibles, qui rapprochent ces deux peuples aujourd’hui.

16.Annie et Jean-Pierre Mahé, Histoire de l’Arménie des origines à nos jours, Perrin, 2012, p. 544 et 570

17.Jean Radvanyi (dir.), Les Etats postsoviétique, identités en construction, transformations politiques, trajectoires économiques, Armand Colin, 2011 (3e édition), p. 136.

18.Premier président de l’Arménie indépendante, Levon Ter-Pétrossian (1991-1998) acquière une certaine popularité en militant pour l’unification dès 1988 puis, devenu président, s’illustre par ses victoires militaires dans la région. Son successeur, Robert Kotcharian (1998-2008) est originaire de Stepanakert au Haut-Karabagh et dirige l’éphémère république arménienne du Haut-Karabagh en 1994. Enfin, Serge Sarkissian, président de 2008 à 2018, est également originaire de Stepanakert et exerce les fonctions de ministre de la défense pendant la guerre (1993-1995). ibidem p. 146.

19.Tigrane Yégavian, « Le second printemps arménien », Le Monde Diplomatique, juin 2018, p. 12.

20.« Migration and remittances data » et données générales sur l’Arménie, Banque mondiale, Washington, DC, avril 2018.

21.Tigrane Yégavian, « Le second printemps arménien », Le Monde Diplomatique, juin 2018, p. 12.

22.Annie et Jean-Pierre Mahé, Histoire de l’Arménie des origines à nos jours, Perrin, 2012, p. 593

23.Hamshahri du 8 Esfand 1397, http://www.hamshahrionline.ir/news/433159/

24.Tigrane Yégavian, « Le seconde printemps arménien », Le Monde Diplomatique, juin 2018, p. 12.

25.Annie et Jean-Pierre Mahé, Histoire de l’Arménie des origines à nos jours, Perrin, 2012, p. 593

26.Jean Gueyras, « Impossible troc entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan », Le Monde Diplomatique, Mars 2001, p. 7.

27.ibidem

28.Comité pour les Statistiques de la République d’Arménie, http://www.armstat.am/file/article/sv_12_17r_411.pdf

29.USGS Minerals Information: Molybdenum, 2016 Yearbook, https://minerals.usgs.gov/minerals/pubs/commodity/molybdenum/

30.Damien Lefauconnier, « Metsamor, un Tchernobyl en puissance », Le Monde Diplomatique, novembre 2017, p. 13.

31.Jean-Christophe Victor, « Arménie, une saison française en 2007 », Le dessous des Cartes, émission du 21 février 2007.